Ce que nous enseigne le Schéma bidimensionnel de Viktor Frankl.
La question du sens se pose quand il se produit une cassure dans l’existence humaine.
Jusqu’à ce traumatisme, l’homme vit sans trop de soucis, centré sur l’avoir plutôt que sur l’être, sur le bien-être plutôt que sur le sens de son existence. Quand cette illusion se brise, il est appelé à chercher un accomplissement plutôt que la réussite.
Dans son enfance, l’être humain s’émerveillait de ce que la vie lui donnait. Dans son adolescence, il a été sensible à une autre vibration, s’est révolté, mais il a été avalé, adulte, par les sollicitations et les conditionnements de la « vie normale » dans la société « à l’occidentale ». Les appétits de ses pulsions, le besoin de s’affirmer, l’exercice d’un pouvoir, l’accumulation des possessions, l’ont orienté vers la réussite, dans laquelle il a, inconsciemment, cherché son sentiment d’existence.
L’être humain en société fuit l’échec, jusqu’au jour où quelque chose se casse dans sa course à la réussite. Les ruptures, licenciement, accident, perte d’argent ou d’êtres chers, divorce, traumatismes physiques, psychiques, sociaux, spirituels le plongent dans la dépression. Alors, ce qui remplissait sa vie n’étant plus là, l’humain souffre. Il éprouve un désespoir qui le prive de l’élan de vie auquel il aspire inconsciemment et qu’il a cherché à satisfaire dans la réussite. Celle-ci lui apparait, dès lors, comme une illusion sur laquelle il a basé sa vie…. S’il peut , avec l’aide d’un thérapeute orienté vers le sens et les valeurs, porter un regard compatissant et lucide sur cette souffrance, il s’aperçoit que la source de cette souffrance se situe dans la perte du sens de son action et de sa vie. Il se rend compte qu’il remplissait un vide en lui, le vide existentiel.
La question qui lui est posée est « Qui es tu ? Quel est le sens de ta vie ? » Et un appel lui vient d’un niveau autre que le conditionnement social. S’il peut l’entendre, il comprend que courir après la réussite ne comble pas son vide intérieur. Il plonge, le plus souvent, dans le désespoir jusqu’à ce qu’il entende « le son du choffar (1) » ainsi qu’il est évoqué dans la tradition juive, un appel venu d’un autre niveau de vie, l’appel vers un accomplissement.
Viktor Frankl, fondateur de la logothérapie, considère (2) que « en l’homo sapiens il est possible de distinguer l’homo faber, qui accomplit le sens de son existence en s’adonnant à un travail créateur, l‘homo amans, qui donne une signification à sa vie à travers ses expériences, ses rencontres et son amour, et l’homopatiens. L’homo faber représente ce qu’on pourrait appeler l‘homme de la réussite : il ne connait que deux catégories, toute sa pensée se meut à l’intérieur de ces deux seules catégories : le succès et l’insuccès. Entre ces deux extrêmes sa vie se déploie dans le sens d’une éthique de la réussite. Il en va tout autrement de l’ homo patiens : les catégories de sa pensée ne sont plus du tout celles du succès et de l’insuccès, mais celles de l’accomplissement et du désespoir. »
« Or, ce couple de catégories se situe perpendiculairement par rapport à toute éthique de la réussite : l’accomplissement et le désespoir relèvent en effet d’une autre dimension. (..) L’homo patiens peut encore s’accomplir même dans le pire insuccès, dans l’échec le plus total. Ainsi l’accomplissement est compatible avec l’insuccès comme aussi le succès avec le désespoir. »
Le travail créateur permet à l’homo faber de « donner un sens » à son existence, sans nécessairement remplir son vide existentiel. Parfois le travail le plus spectaculaire sert à se cacher le vide de l’âme. Par une prise de conscience, la question devient de faire un travail créateur qui honore la vie (3). C’est ainsi que l’homo faber peut « trouver le sens » de son action et être mis devant le choix de donner son énergie à une tâche qui réponde à la question que la vie pose et pas seulement à ce qui lui fait plaisir et peut nourrir surtout son égo.
Et, c’est quand sa quête s’orientera vers son accomplissement que l’être humain aura le courage d’affronter son insuccès et pourra, de surcroît, connaitre un succès. Ce succès sera un effet secondaire de la recherche de l’accomplissement. Et non l’effet recherché. En cherchant son accomplissement en réponse aux difficultés existentielles, il trouvera les solutions libératrices. S’il reste dans son vide existentiel quand tout se casse dans sa vie et qu’il plonge dans le désespoir, il se situera en victime et ne trouvera ni le sens dans la situation, ni les solutions justes et donc pas la paix, la joie et la dignité de son être d’humain.
Qu’est-ce qu’un accomplissement ? C’est une réponse consciente à un sens (4), une réponse à la question que la vie pose, dans la situation concrète. C’est sentir que nous sommes destinés à une « mission de vie » que nous sommes invités à découvrir et à accepter de réaliser. C’est décider d’une action qui honore la vie (5) en exigeant de nous la mise en œuvre consciente et résolue de nos talents. C’est sentir que ce qu’on vit procure une expansion de la conscience, une élévation de la vibration intérieure, une joie et une paix qui partent du cœur, une sensation de soi démultipliée, le sentiment d’une justesse de l’action, un émerveillement dans les petites choses et humbles taches de la vie, qui émanent de la dimension noétique présente dans la nature de l’être humain …. Cette dimension de notre être, qui, précisément, est cachée quand nous poursuivons la réussite matérielle.
Dans les temps troublés que nous traversons, où la maladie, la guerre et la mort s’imposent à notre conscience, la position que nous décidons de prendre intérieurement pour porter ce que nous ne pouvons pas changer peut devenir un accomplissement. Selon Viktor Frankl, ces valeurs d’attitude sont le plus haut accomplissement.
Quand, privé de réussite et limité dans notre capacité d’action, nous plongeons dans la souffrance, c’est que, ce qui ,en notre intériorité, est en contact avec notre dimension noétique se révèle et manifeste le manque spirituel dans notre vie. C’est cette dimension noétique qui appelle à l’accomplissement de notre être et de notre mission de vie.
Pour moi, aujourd’hui, l’accomplissement c’est d’écrire cet article et d’enregistrer une vidéo qui présente ce thème sur ma chaîne Youtube « L’étoile du sens ». J’y pense depuis longtemps. Je mature cet article pour l’écrire de façon à ce que tout un chacun puisse y trouver une ouverture et un espoir. Si vous qui le lisez y trouvez le goût de faire part de votre commentaire, de ce que cela vous apporte, de ce qui est pour vous votre accomplissement, alors de réaliser cette œuvre aura trouvé pleinement son sens. Ce sera aussi pour moi, un accomplissement. Merci.
(1) Le choffar est un instrument à vent juif. Dans la Bible, le livre de Josué décrit son utilisation pour faire tomber les murailles de Jéricho. Ainsi cet appel du sens vient faire tomber les murs que nous avons érigés intérieurement pour ne pas sentir notre souffrance. Le son du choffar est évoqué par le psychanalyste Jacques Lacan comme l’émanation d’un appel au sens dans les profondeurs de l’esprit humain.
(2) Extrait de Viktor Frankl, La Psychothérapie et son image de l’homme, éd. Centurion Resma
(3) Voir L’Étoile du Sens, Valentin Husser, Savoir devenir, Libérez-vous du piège de l’échec, éd. Sydney Laurent.
(4) D’après Elisabeth Lukas dans De ta souffrance même tu peux faire quelque chose, Pierre Tequi éditeur
(5) Voir L’Étoile du Sens