Repères logothérapeutiques pour la mutation de nos esprits et de notre monde, après le coronavirus COVID-19

Dans ces temps de confinement suite au coronavirus COVID-19, nombre de consciences ont été marquées par la peur, l’incertitude quant à la nature de ce virus et ses traitements possibles. Ce sentiment d’impuissance a été amplifié par le manque d’équipements adéquats. Les soignants ont soigné, par vocation, exposant souvent leur santé et parfois leur vie.

À la peur s’est mêlée la culpabilité sous diverses formes : celle des soignants et autres professionnels en action sans savoir s’ils étaient contaminés, donc transmetteurs du virus et donc du risque de donner la mort ; celle des millions d’habitants dans le monde, confinés pour se protéger et qui étaient tenus au courant en permanence ; celle des gouvernements malgré leurs dénégations, conscients de leur impréparation et impuissance impossible à avouer… et que d’aucun pouvaient soupçonner d’intentions malveillantes. Ces peurs peuvent alimenter les théories du complot. Ce sentiment sert d’exutoire à ces peurs et culpabilité inconscientes.

Comment avez-vous vécu cette période ? Comment avez-vous réagi au confinement ? Avez-vous contracté le virus ? Êtes-vous en relation directe avec ceux qui ont été malades ou soignants et peut-être sont décédés du virus ? Quels ont été vos sentiments, vos réflexions ? Comment a évolué votre vision de la vie et votre existence pendant cette période ?

Vous êtes-vous sentis enfermés, privés de votre liberté, de notre libre arbitre, de perspectives, de relations sociales et affectives directes ? Ou au contraire avez-vous été « obligé » de revoir vos relations et vous en êtes-vous tirés, tout compte fait, positivement, en redécouvrant toutes les joies et jolies choses dont le tourbillon de votre vie d’avant vous privait ?

De façon générale, force est de constater, et des voix autorisées s’élèvent pour le souligner, que l’incertitude gagne, non seulement sur le plan du projet de vie personnel mais aussi sur le devenir de notre société. Tous les repères deviennent flous et nul ne peut dire avec certitude ce qui adviendra.

Quelle aide peut nous apporter la logothérapie, thérapie, philosophie, guide pour l’action orientés vers le sens et les valeurs ? Si nous pouvions interroger Viktor Frankl, son créateur, psychiatre viennois rescapé des camps de concentration nazis, il nous répondrait sans doute « Si vous étiez internés à Auschwitz, comment réagiriez-vous ? »

Même si un parallèle peut être fait sur la privation de liberté de mouvement, et l’incertitude du lendemain, la situation n’est pas la même, loin s’en faut. Ce qui est commun entre les univers concentrationnaires et notre enfermement du au confinement, c’est la question du sens et de l’autodétermination dans les obligations existentielles. Le COVID-19 et les mesures prises pour le « combattre » nous forcent à nous apercevoir que nous étions enfermés dans des certitudes et des modèles socioéconomiques et relationnels que nous croyions stables et constituant nos vies. Et voilà que ce virus met à mal ces certitudes qui s’avèrent être des mythes.

La dimension spirituelle et l’exigence de conscience font irruption bousculant l’ordre sur lequel sont bâtis nos systèmes sociétaux.

Quelle réponse Viktor Frankl a-t-il donné à la question du sens durant son internement ?
(Dr Viktor Frankl, Découvrir un sens à sa vie, avec la logothérapie, Les éditions de l’HOMME, 1946, 2006)

J’ai moi-même été malade du COVID-19, sans gravité ou pathologies associées. J’ai ressenti ces peurs et cette culpabilité de m’en être sorti sans l’hôpital. Cette pensée de Viktor Frankl m’a retrouvé. Elle m’a aidé à ressentir les enjeux de cette crise, et intérioriser ce que j’exprime ici. Enfin, grâce à ce virus, et au contact avec des professionnels de l’hôpital et des institutions médicosociales dédiées au polyhandicap, j’ai pu avancer dans ma réflexion et dans l’aide thérapeutique que j’ai pu apporter à mes patients et interlocuteurs.

Au fur et à mesure qu’il essayait d’encourager ses codétenus à tenir malgré le tragique de leur situation, une nécessité s’est imposée à Viktor Frankl : il l’a proclamée pour consolider la foi en la vie de nombre des ses camarades.

« Il fallait que nous changions du tout au tout notre attitude à l’égard de la vie. Il fallait que nous apprenions par nous-même et, de plus, il fallait que nous montrions à ceux qui étaient en proie au désespoir que l’important n’était pas ce que nous attendions de la vie, mais ce que nous apportions à la vie. Au lieu de se demander si la vie avait un sens, il fallait s’imaginer que c’était à nous de trouver ce sens chaque jour et à chaque heure. Nous devions le réaliser non par des mots et des méditations, mais par de bonnes actions, une bonne conduite. Notre responsabilité dans la vie consiste à trouver les bonnes réponses aux problèmes qu’elle nous pose et à nous acquitter honnêtement des tâches qu’elle nous assigne ».

En quelque sorte il s’agit d’entendre la question que la vie pose et choisir quelle réponse nous allons donner, en exerçant notre liberté et en prenant chacun sa responsabilité.

Quelle question la vie pose, et à qui ?

La vie pose sa question à chaque être humain, dans sa situation concrète. Pour Viktor Frankl, il n’y a de responsabilité qu’individuelle. Mais ceci devant soi-même, devant la collectivité dont nous faisons partie (et ne faisons-nous pas partie interdépendante de l’humanité ?) ainsi que devant la Vie qui englobe tous les êtres ?

Il y a donc plusieurs niveaux de questionnement et de sens : par rapport à moi-même, en rapport avec l’autre, et dans le rapport avec le monde, c’est-à-dire également le Vivant et la planète.

Nous inspirant de l’étoile du sens (cf le modèle présenté dans mon livre Savoir devenir, Libérez-vous du piège de l’échec, ed Sydney Laurent, 2018, page 72), nous pouvons dire que, dans la situation de chacun, il s’agit d’abord de répondre aux exigences de la situation… Les gestes barrières, le respects des règles, la prise en compte de la santé, l’alimentation, l’hygiène…

Et puis nous devons interroger nos envies et n’en retenir que ce qui est essentiel, prendre conscience de nos talents et compétences et voir à qui et à quoi elles peuvent servir.

Il s’agit de trouver à quoi la vie a préparé chacun pour les nouvelles exigences actuelles et celles à venir après, dans la mutation en cours. En quelque sorte, la façon dont nous vivons cette période, ce que nous découvrons sur soi-même, sur le « vivre ensemble », sur l’impact au niveau de la planète nous prépare à la suite.

Nous sommes poussés à décider à quoi nous allons servir – Viktor Frankl nous indique que le sens est de servir plus grand que soi. Sur le plan de ce qu’il appelle le supra sens, il s’agit de choisir et mettre en oeuvre ce qui honore la vie.

Et si je suis dans une situation où je ne peux rien changer, et que je suis au bout de ma vie, il s’agit de « porter » ma souffrance et accomplir dans la dignité mon destin.

Par rapport à moi-même, je ne peux pas échapper aux questions : Qui suis-je ? Qu’est-ce qui me donne le sentiment d’exister ? Suis-je seulement un consommateur ou un travailleur ? Et Frankl nous indique, de concert avec tous les grands sages de l’humanité, que nous avons une dimension spirituelle, qu’il appelle « noétique » pour la distinguer du confessionnel. Le COVID-19 force ceux qui y étaient insensibles à s’y ouvrir et aide ceux qui étaient en chemin vers leur spiritualité à mieux l’assumer. Reconnaître cette dimension est fondamental dans notre société occidentale matérialiste et dédiée au confort, au profit individualiste et à la satisfaction immédiate stimulée par le consumérisme. L’éveil des consciences face au virus et ses conséquences manifeste ce sens. À chacun de choisir s’il va s’en soucier ou vouloir continuer « comme avant », dans l’inconscience des certitudes du passé.

Très concrètement, la question devient, pour le présent et pour l’avenir :
Qu’est-ce qui est essentiel pour moi ? Qu’est-ce qui est nécessaire pour maintenir ma vie afin de servir ce à quoi je suis appelé ? À quoi vais-je donner ma substance de vie dans le temps qu’il me reste à vivre, lequel est incontestablement incertain tant la précarité de la vie humaine est rappelée par cette crise sanitaire et celles qui, vraisemblablement, suivront ? Vais-je me tourner vers mon intériorité, vers ce qui vient de moi-même à l’intérieur ou rester superficiellement accroché à ce qui m’est « imposé » de l’extérieur via les médias et autres conditionnements sociaux ou gourous qui prennent le pouvoir sur mon esprit ?

Par rapport à l’autre, ce sont toutes les dimensions de la relation qui sont mises en question. Qui est l’autre, pour moi ? Comment je le rencontre ? Quel est le but de la relation ? Le sens est-il de profiter de l’autre sous toutes sortes de formes ou bien de rencontrer son unicité et sa dimension spirituelle. Qu’est-ce que cela implique dans le rythme de vie, les façons de faire pour « être ensemble » ? Comment, ensemble, prendre en compte le milieu dans lequel nous vivons et élaborer la réponse que nous donnerons collectivement aux défis que la vie nous pose ?

Par rapport au monde dans lequel je vis, je ne peux plus échapper aux questions : Qu’as-tu fait de ce paradis qui t’étais donné, la planète Terre qui respire enfin quand l’humanité est confinée ? Qu’est-ce que cela signifie ? Quelles activités abiment le milieu dans lequel tu vis et que tu vas offrir à tes enfants ? Auras-tu la conscience et le courage d’abandonner certaines pratiques et d’en forger d’autres qui respecteront la vie et honoreront ta dignité d’homme ?

Et si (en référence aux dix thèses sur la personne de Viktor Frankl) chaque être est unique, ne se résume pas à l’appartenance à une de ses caractéristiques – nationalité ou cible marketing par exemple. Si chacun est responsable car participant de cette dimension spirituelle fondamentale qui fonde sa totalité et le sens de sa vie, et qu’il a un dynamisme propre qu’il est capable de mobiliser par le « Pouvoir de défi de l’esprit », et qu’il est toujours déjà impliqué de par sa naissance dans son monde, déléguerons-nous les yeux fermés ces choix fondamentaux à qui nous prendrons comme notre sauveteur et notre maître ?

Pour répondre, privilégierons-nous la sagesse du coeur fruit de l’amour fondamental de la Vie, qui nous indique l’interdépendance de tous les êtres et donc les valeurs de solidarité, de coopération, de coresponsabilité, de conscience, ou bien nous baserons-nous sur la rentabilité financière de nos activités en défense primordiale de la valeur supérieure du Produit Intérieur Brut, qui nous induit la valeur de soumission à ceux qui maîtrisent le mieux l’argent ?

Comment avancer face à ce défi ?

Selon la vision logothérapeutique, « l’homme est un être qui décide… de ce qu’il sera l’instant suivant ! » et donc de ce qu’il fera en exerçant sa liberté et en prenant sa responsabilité. Quelles démarches nous permettrons de trouver une ligne de conduite juste ,existentielle, incluant notre monde et notre planète pour choisir nos actions personnelles et collectives ?
Frankl parle à ce propos d’une « métaphysique du quotidien », valable pour l’individu comme pour la société et l’humanité :

« J’espère que vous comprendrez bien cette expression. Il ne s’agissait pas seulement de rendre, en quelque sorte, transparent le quotidien qui n’est qu’en apparence sans couleur, banal, ordinaire train-train (soumis à une obligation de conformité – commentaire personnel -) et de porter nos regards à travers lui jusqu’à l’éternel (l’horizon des valeurs – commentaire personnel). Il s’agissait aussi en dernière analyse, de faire voir comment cet éternel renvoie au temporel, au quotidien, comme au lieu d’une constante rencontre du temporal avec l’intemporel.
Ce que, dans le temps, nous produisons, vivons, souffrons, nous le produisons, le vivons , le souffrons en même temps pour l’éternité ; dans la mesure où nous sommes responsables de ce qui arrive, dans la mesure où c’est de l' »historique », cette responsabilité qui est la nôtre, est d’un poids colossal, en ceci que rien de ce qui n’est pas arrivé ne saurait être retranché de ce monde. Mais en même temps cette responsabilité qui est la nôtre est appelée à, justement, faire entrer dans ce monde, ce qui n’était pas encore arrivé. Et cela dans le cadre de notre tâche quotidienne, dans notre cadre de tous les jours en sorte que le quotidien devient le réel pur et simple, et que ce réel devient possibilité de faire quelque chose. ainsi la métaphysique du quotidien conduit d’abord à sortir de ce quotidien, pour ensuite cependant, en toute conscience de notre responsabilité, nous y ramener » (Viktor Frankl, Die Sinnfrage in der Psychothérapie, Piper, Munchen, 6 Aufl. 1996, s. 139/140).
Ceci est établi pour la conduite d’une psychothérapie sous l’angle logothérapeutique. Il me semble légitime (V. Frankl en psychiatre très sollicité s’est occupé de psychothérapie, mais il a indiqué de plusieurs façons qu’il faut s’occuper de l’éthique et donc du politique, c’est-à-dire de la façon dont les êtres vivent ensemble) de nous servir de ce guide pour les questions existentielles individuelles et collectives ; Particulèrement, quand, comme pour le coronavirus COVID-19, ces questions s’entremêlent et s’interpellent l’une l’autre.

C’est bien sur les choix fondamentaux tant individuels que collectifs que cette question de la référence aux valeurs est essentielle. « À travers » le train-train quotidien, c’est-à-dire dans nos actes habituels dans tous les ordres personnels et professionnels, monter en conscience vers ce qui vaut vraiment la peine d’être vécu, et à la lumière de cette prise de conscience, descendre dans l’action concrète et la réaliser en honorant cette conscience qui est notre organe du sens.

Par exemple, pour décider de ce qui, à la lumière de cette crise sanitaire, est essentiel à vivre et doit être maintenu et développé et de ce qui doit être changé, monter jusqu’à l’éternel et l’intemporel met le choix à faire en perspective au-delà d’une mandature, d’une carrière, d’une vie, mais situe la responsabilité du devenir par rapport à un temps beaucoup plus long, celui où s’inscrit le destin de l’humanité.

En quelque sorte, à quoi en moi et dans la société donner le pouvoir et la couronne – comme le souligne Isabelle Padovani dans un de ses podcasts, « corona » signifie « couronne », et le sens de ce coronavirus serait bien dans le sens de qui va être couronné en moi et dans le monde – pour régner sur la Vie ?

Revenons à nous-même, chacun dans son intériorité. La question peut se traduire ainsi : Que choisissez-vous que l’on garde comme souvenir de votre action durant votre vie ? Quand vous serez mort, vous ne pourrez plus rien changer. Aujourd’hui qu’est-ce qui est essentiel et dont vous pourrez vous sentir digne ? Êtes-vous prêt à vous occuper ? Si oui, alors allons-y !

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