De l’intériorité à l’intentionnalité : un parcours logothérapeutique

Je suis psychologue, spécialisé dans la logothérapie, la recherche d’intériorité. Une partie de mon activité est d’assurer la supervision éducative et l’analyse de la pratique dans des institutions médico-sociales.
Il y a 10 ans, une éducatrice d’un groupe que je supervisai me dis « vous nous ramenez toujours à ce que nous vivons intérieurement. Vous nous parlez du sens et des valeurs, vous devriez vous intéresser à Viktor Frankl et à la logothérapie ».

La théorie de Frankl

Je me suis formé quelques années plus tard. La vision de l’homme dans la logothérapie a alors renouvelé ma pratique. Cela m’a ouvert à d’autres dimensions de l’être dans le monde. Ce que les philosophes appellent le Dasein, l’être au monde.

Je concevais la rencontre avec l’intériorité seulement comme entrer en soi-même. Mais la logothérapie a fait évoluer ma compréhension.
Dans la pensée de Viktor Frankl, on ne trouve pas vraiment mention de l’intériorité dans cette acception. Pourtant, le principal apport de la logothérapie est au coeur de cette question.
Sa thèse principale est celle de l’inconscient spirituel. L’être humain a dans son inconscient, au même titre que les pulsions, une énergie qu’il a appelée noétique, c’est-à-dire spirituelle, mais pas forcément confessionnelle à ce niveau-là.
La dimension spirituelle de son être est implantée dans l’inconscient de l’homme au même titre que ses pulsions. Freud, juste avant Frankl, avait découvert l’inconscient pulsionnel et en avait faire la base de la psychanalyse. Ensuite, Frankl a démontré l’existence de l’inconscient noétique.

Être à l’écoute de notre intériorité

Cela veut dire que l’intériorité est toujours déjà là. Mais qu’est-ce qui manque ?
Nous en sommes coupés parce que notre intention est dirigée ailleurs. Et cette question de l’intention dans notre vécu a particulièrement travaillé Viktor Frankl. Ainsi, il est psychiatre viennois avant la guerre. Il s’est occupé de beaucoup de personnes tentées par le suicide. Puis il a connu les camps de concentration nazis. En tant que médecin, il s’est occupé des autres prisonniers malades. Il a également cherché pourquoi les uns mourraient et les autres survivaient.

Cette expérience a confirmé ce qu’il appelait déjà la logothérapie, la thérapie orientée vers le sens et les valeurs. La clé de la vie c’est la conscience du sens. L’homme perd sa motivation à vivre quand il est coupé du sens. C’est la source de la névrose noogène, c’est-à-dire névrose qui a sa source dans la perte de la dimension noétique. C’est la source aussi de la dépression. Quand l’homme perd le sens, il tombe dans le « vide existentiel » qui est à la base des maladies de l’âme.

La logothérapie : une nouvelle vision de l’existence

La visée de la logothérapie, c’est d’aider l’homme souffrant à prendre conscience de sa dimension noétique.
Prendre conscience, c’est un geste noétique qui peut se déclencher à partir de la « triade tragique », comme dit Frankl : la souffrance, la culpabilité, la mort.
À partir de ce qu’on appelle l’analyse existentielle, l’homme découvre où va son intention. Il découvre que dans chaque situation, il y a un sens et il touche sa volonté de sens. Il découvre sa liberté, la liberté de la volonté et en même temps sa reponsabilité.
Concrètement, le message de la logothérapie, c’est :
« de ta souffrance même tu peux faire quelque chose » ;
dans la reconnaissance de ta culpabilité, tu peux trouver ta responsabilité ;
devant la mort, tu peux vivre ta dignité.

C’est ainsi que l’on peut répondre à la question que la vie nous pose, la question du Pour quoi. Et non pas poser à la vie la question du Pourquoi qui renvoie à des croyances, souvent enfermantes. Et en tout cas, qui nous éloignent de notre intériorité.

La quête du sens et de l’intériorité

C’est vers ce « retournement copernicien » que le logothérapeute accompagne la personne en souffrance. Je le pratique dans des entretiens logothérapeutiques et des formations. Bernadette Schmidt, « l’autre logothérapeute alsacienne », pratique un accueil dans sa maison à Mollau. Les personnes qui éprouvent un mal-être ou se posent des questions existentielles peuvent venir se poser quelques jours. Elles bénéficient d’un accueil bienveillant et d’entretiens logothérapeutiques.

Nous accompagnons également les équipes dans différents domaines où se posent des questions des relations du vivre ensemble, c’est-à-dire la question du sens.
Je le pratique actuellement dans la réinsertion professionnelle des seniors, dans l’analyse de la pratique et la supervision dans le domaine médico-social et dans la résolution de conflits dans différents groupes, ainsi que des formations.
Par exemple, la gestion de la violence en institution, ou un nouveau programme « comment faire face aux peurs de notre temps » conçu à partir de l’expérience d’une association rwandaise qui s’occupe de réconciliation entre génocidaires et rescapés du génocide.

Vous le sentez bien, dans cette perspective, vivre son intériorité, ce n’est pas seulement rentrer en soi-même. Mais, y étant entré, s’étant, comme on dit de façon moderne « reconnecté » à la Source de la Vie, aller vers la mission que la Vie m’indique.

Le cheminement vers l’intériorité : un parcours logothérapeutique

Ce chemin passe par la méditation, c’est indispensable ;
par la rencontre avec l’autre, le TU, dans l’intimité du dialogue MOI-TU, jusqu’à la relation transnoétique, et même la transfusion noétique.
Cela va jusqu’à « l’intimité dernière absolue de l’amour », d’Eros au sens premier qui relie l’être profond des humains, dans le partage de l’énergie spirituelle ;

par la prière qui est l’intimité dernière avec soi et avec Dieu. La prière « accompli l’intimité de la transcendance » ;
« La prière, c’est le seul acte de l’esprit humain qui réussit à rendre le présent Dieu en tant qu’un Tu. Cette pratique présentifie, concrétise et personnifie Dieu en un Tu ».

par la transcendance de la souffrance, qui quand elle ne peut pas être « traitée », doit être « accomplie » par l’homme souffrant. La question que pose la souffrance est centrale pour Frankl.

Vivre mon intériorité c’est, me relier à ma conscience, qui est ma boussole intérieure, alimentée par l’énergie noétique. Me diriger vers le monde pour agir en usant de ma liberté et en assumant ma responsabilité.

Mon expérience personnelle

Pour ce qui me concerne, au cours de mon évolution, j’ai très vite été confronté à la question « qui suis-je ? »

Né dans une autre culture, plongé dans la culture occidentale de façon un peu difficile, je n’ai pas pu me référer à un environnement social stable, à un Zeitgeist assez conditionnant, pour trouver mon identité. J’ai cependant reçu une éducation chrétienne stricte. C’est peut-être bien ces contradictions qui ont orienté ma vie vers la recherche de ce que c’est que l’humain, le travail social et la thérapie.

J’étais très sensible aux idées de Carl Rodgers, l’importance de la personne et la congruence entre ce que l’on croît et ce que l’on vit.
J’ai parcouru la plupart des approches psychologiques, philosophiques et religieuses. J’ai, bien sûr, étudié Maslow, les besoins, la réalisation de soi.
Et avec Frankl, j’ai trouvé quelque chose de complémentaire. La réalisation de soi au service de quelque chose de plus grand que soi ou au service de quelqu’un dans l’amour.
C’était cohérent avec ce que je vivais depuis longtemps, d’ailleurs cela me guide encore aujourd’hui. C’est ce qui m’a amené à accepter l’invitation des organisateurs du colloque où j’ai donné cette conférence. C’est pour partager le plus largement possible ce que peut apporter la logothérapie que ce site a été construit.
Puissiez-vous en profiter pour « trouver le sens » dans votre vie.

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